22 , 23 nov. 2025

mk2 Bibliothèque, Paris 13e

Ruth Zylberman ©Benjamin Geminel

Ces regards, ces 30 regards si éclectiques, je ne saurais dire combien ils nous ont été importants ces mois derniers, comme un rappel rien moins qu’incantatoire ou théorique de cette force immense que porte en lui le documentaire dans toute sa diversité : nous redonner le monde, y compris quand on en désespère.

Ruth Zylberman, documentariste, présidente du Jury des Étoiles

Choisir – choisir parmi plusieurs centaines de films puis soixante puis 30. Choisir avec bienveillance, exigence et subjectivité, avec la conscience au cœur que ces choix-là ne prétendent pas ordonner, classer, élire mais plutôt que pour ces 30 étoiles, ils nous racontent, nous les cinq membres de ce jury, 2 femmes, 3 hommes, individus, spectateurs et spectatrices, habitantes et habitants du monde de ces années 2024.

Nous qui avons regardé ces films depuis l’effarement de nos temps dégondés que, précisément, le temps de la vision, de la rencontre avec un film, suspendait ou prolongeait ; nous qui avons pu expérimenter combien ce marathon souvent décrit par les jurys précédents – 60 films, ce n’est pas rien – créait pour nous, dans le meilleur des cas, un espace et un temps qui échappaient soudain aux polarisations sectaires, aux admonestations abstraites, aux manichéennes virulences, qui nous offraient pour 26, 52, 90 minutes, parfois plus, un lieu où pouvaient se construire un regard, une rencontre, un lien.

Le regard de celle ou celui qui, avec patience, modestie, engagement, montre et raconte un corps, un regard, l’humanité de celui ou celle qu’il ou elle rencontre – que celui ou celle-ci soit mort depuis des décennies, qu’il ou elle vive à l’autre bout du monde, ou bien sous nos fenêtres.

Un regard qui fende cette fameuse mer glacée en nous afin que nous puissions voir, sentir, comprendre à notre tour. Ces regards, ces 30 regards si éclectiques, je ne saurais dire combien ils nous ont été importants ces mois derniers, comme un rappel rien moins qu’incantatoire ou théorique de cette force immense que porte en lui le documentaire dans toute sa diversité : nous redonner le monde, y compris quand on en désespère.

Car ce dont parle ce palmarès, construit à la fois sur des préférences unanimes et des inclinations plus singulières que nous voulions respecter, c’est, entre autres, de nos rencontres avec la silhouette dansante d’un enfant dans le quartier en démolition d’une ville chinoise, avec celle, à la fois  titubante et déterminée, d’un traducteur-passeur éthiopien, avec la lutte syndicale inventive de femmes et d’hommes décidés à nommer leur rage et leur vérité, avec un journaliste des années 30 lui aussi prêt à tous les courages, dans un monde de vérités alternatives et de compromissions, pour nommer le réel, avec des statues de pierre qui témoignent des morts et de leurs grandes douleurs, avec des journalistes terrifiés parvenus à surmonter leur peur.

Ces rencontres-là, ces personnes-là, nous avons conscience de la détermination, de la force de travail et d’invention qu’il y eut, pour nous en rendre compte, pour nous en partager la force. Ces rencontres nous sont des boussoles, de celles qui nous guident, nous épaulent, en pleine tempête et nous sommes convaincus qu’elles le seront pour d’autres. Car n’est-ce pas le cœur de notre métier, de notre artisanat, de notre art, la raison même de ce pourquoi il est attaqué, de ce pour quoi nous devons le défendre : préserver, dans toute sa justesse complexe, le lien entre nous qui partageons ce monde, avec humilité, exigence et créativité… sans faillir.

Ruth Zylberman, présidente du jury

Les membres du jury 2024

Atisso Médessou, Gulya Mirzoeva, Ruth Zylberman,Sebastiano d’Ayala Valva et Olivier Sarrazin (de gauche à droite)

Jury Étoiles 2025 ©Benjamin Geminel